Yoan De Macedo [ Web & Ecologie ]

Editer un logiciel libre en entreprise, les limites

D'habitude mes billets sur le libre et l'entreprise sont plutôt positifs mais celui-ci sera beaucoup plus mitigé.

THELIA fêtera bientôt ses 5 ans sous licence GPL et je souhaitais faire un bilan sur son édition et sa rentabilité au jour le jour.

Tout d'abord, en 5 ans le libre n'est finalement pas entré dans les moeurs comme je l'imaginais. Le flou artistique entre libre et open source y est probablement pour que quelque chose.

J'observe avec une certaine mélancolie plusieurs beaux projets libres français disparaître progressivement au profit de versions SaaS qui évoluent et des versions communautaires à l'abandon.

Après différents échanges par mail ou par téléphone avec des développeurs libristes, je ne suis pas vraiment étonné car je retrouve souvent la même raison : la rentabilité. Il me semble difficile, en France, de vivre d'une application libre qui ne serait pas sur un marché de niche.

Le e-commerce ou la gestion commerciale par exemple, ne sont plus un marché de niche depuis un moment déjà. Je ne vais pas revenir plus longuement sur le financement autour du libre mais comme vous le savez la rémunération se réalise sur des services complémentaires (formation, développement sur mesure, ...)

Chez Octolys, nous avons un rôle de webagency important ainsi que des activités de conseil, de développement sur mesure. Sans ces activités, nous aurions disparu depuis un moment je crois. Pour vivre de Thelia et seulement de Thelia, il serait nécessaire de le fermer en partie. C'est une possibilité que nous refusons par respect des utilisateurs fidèles depuis le début. Sinon ce serait probablement déjà fait.

Croire que les utilisateurs joueront le jeu, participeront financièrement au développement de l'outil qu'ils utilisent au quotidien est une erreur bien naive et je suis bien obligé de le constater. La majorité utilise, râle quand une fonctionnalité manque, vous téléphone pour obtenir de l'aide gratuitement et partira chez le concurrent si vos réponses ne conviennent pas. C'est ainsi. Ce tableau morose s'accentue encore plus en contexte de crise et je comprends aujourd'hui pourquoi certains finissent par "lâcher" la communauté pour se recentrer sur une activité plus lucrative. Lorsqu'il faut payer des salariés et les charges associées, les solutions sont maigres.

De notre côté, nous souhaitons encore poursuivre dans la voie du libre et continuer à animer la communauté. Nos diverses activités permettent à Octolys de s'en sortir convenablement mais pas de progresser comme nous le souhaiterions.
En revanche, nous ne pourrions pas vivre actuellement du produit Thelia. Beaucoup choisissent le libre pour minimiser les coûts et décident de s'autoformer, d'attendre l'arrivée des nouveaux modules. La bourse à contributionsn'est pas utilisée aujourd'hui. Quelques euros mutualisés permettraient pourtant de développer rapidement de nouveaux modules.
Les coups de téléphone d'utilisateurs qui vous traitent pratiquement de voleur car vous ne fournissez pas de support gratuit sur un outil que nous distribuez sans frais ne sont pas rares ! J'ai d'ailleurs partagé ce constat vendredi avec un autre éditeur.

J'attire quand même l'attention sur quelques utilisateurs qui sont bien présents et nous aident depuis des années. Sans eux, je pense que nous aurions laissé tomber depuis un bon moment.

Que faire ? Fermer une partie de Thelia ? Nous ne voulons pas nous diriger vers cette solution car d'autres outils de qualité sont déjà sur ce marché avec des moyens financiers largement supérieurs aux nôtres. C'est donc une dépense d'énergie inutile qui nous ferait perdre les bons utilisateurs.

Nous allons donc probablement continuer à capitaliser sur notre expertise e-commerce et continuer à développer Thelia comme une activité non rentable. C'est notre carte de visite, l'outil que nous utilisons au quotidien pour nos partenariats, nos clients, que nous partageons avec une communauté.
Nous continuerons aussi à aider les utilisateurs dans la mesure du possible, bien entendu mais avec avec moins de motivation je crois.

Si aujourd'hui je devais lancer un nouveau projet, je ne suis pas sûr de publier sous licence GPL ni même de m'investir autant pour une communauté d'utilisateurs.
C'est bien dommage car je reste convaincu que le libre est une merveilleuse aventure. Pourtant bien trop d'utilisateurs sont centrés sur leurs besoins personnels et oublient un peu trop le partage bidirectionnel qu'offre le logiciel libre. Cette période de crise financière comme j'en ai déjà parlé dans ce billet n'arrange rien.

Ce billet n'est pas "moralisateur" et je ne crois pas être naïf. En revanche, je ne pense pas que le contexte actuel change rapidement et que les utilisateurs se mettent à participer activement au financement du libre. Si c'est le cas, je me ferai un plaisir d'écrire un nouveau billet à ce sujet.

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